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Profession rappeur

ARTISTE ENTREPRENEUR

01.

Youssoupha, le choix
de l'indépendance

02.

Une "approche
très entrepreuneriale"

03.

Du Secteur Ä
au Wati B

04.

Musicast,
l'intermédiaire

05.

Les majors
s'en mêlent

01

Youssoupha
le choix de l'indépendance

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Ce 15 septembre, la tension va crescendo dans les locaux du label Bomayé Musik. Il est bientôt 17 heures et c’est à ce moment-là que Youssoupha a donné rendez-vous à ses quelque 477.000 abonnés sur Twitter pour la diffusion de son nouveau clip. Mais un problème de lien retarde la publication. « On va se faire allumer sur les réseaux sociaux », pronostique le rappeur né à Kinshasa alors qu’il s’échine à régler le problème sur son Mac Book Pro. Avec un peu de retard, le clip finit par être mis en orbite avant d’être rapidement ajouté à sa chaîne YouTube et à sa page Facebook et la vindicte 2.0 est évitée.


Tout un symbole de la double casquette de ce rappeur à la fois artiste et chef d’entreprise à la tête de son label indépendant. Une affaire qui roule. Autonome, il dispose de ses propres locaux dans le 12e arrondissement de Paris, dont bénéficie aussi la dizaine d’artistes signée chez Bomayé Musik. Dans le studio d’enregistrement, le disque de platine de son avant-dernier album (« Noir Désir »), vendu à plus de 100.000 exemplaires, tient en équilibre sur le canapé. Sorti en 2012, cet opus est celui qui a imposé Youssoupha comme une grande figure du rap français. C’est aussi son plus grand succès commercial. Et son premier album studio véritablement indé. 

« Ses deux premiers albums étaient produits chez Bomayé Musik et signés, en licence, chez EMI. On en a vendu 30.000 à chaque fois, mais en récupérant 22 % du prix de vente sur chaque album, on ne s’y retrouvait pas », se souvient Philo, gérant du label. En 2010, Bomayé Musik change son fusil d’épaule. Fini le contrat de licence avec EMI, bonjour le contrat de distribution. 

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Traduction, le label gère et finance désormais promotion et marketing, en plus de la seule production musicale. Davantage de dépenses, mais plus de revenus si les ventes sont au rendez-vous. « Avec “Noir Désir”, le seuil de rentabilité était fixé à 20.000 albums », confie Philo. Un point mort très largement dépassé. Aujourd’hui, Bomaye Musik récupère 60% des ventes de CD physique et 70% sur le digital. « Les chiffres ne mentent pas », rappait Youssoupha en 2012.

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« Il y a une forte pression dans les majors qui peuvent brider la créativité de l’artiste. Ils ne pensent qu’au single, au morceau radio-friendly, ce qui peut finir par éloigner l’artiste de son public », assure Philo. « Notre pari, ça a été de travailler la base de fans de Youssoupha via les réseaux sociaux pour avoir un lien direct avec eux », continue-t-il. Une digitalisation encore plus marquée et assumée pour la promotion du dernier album, « NGRDT ».

Sur un budget de promotion de 350.000 euros cofinancé par la maison de disques Believe Recordings qui s’occupe de la distribution de l’opus, Bomaye Musik n’a pas mis un euro dans la campagne physique, hormis pour la tournée. Application mobile « Youssoupha », concerts sur Periscope et surtout la bagatelle de 12 clips entre février 2015 et novembre 2015 : le label a tout misé sur le numérique. Résultat, l’album a été certifié disque d’or (1) (50.000 albums vendus) début novembre.

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Booba, 1995, Youssoupha... : la liste des rappeurs signés sur un label indé et capable de franchir la barre du disque d’or est dense. Une période faste qui n’est cependant pas la première en France. Retour en arrière. Entre 1995 et 2002 : le rap français avait déjà connu une parenthèse enchantée. Les disques d’or et de platine se succèdent et le genre s’impose véritablement dans l’Hexagone.

A l’époque, deux poids lourds de l’indépendant font leur apparition. A Marseille, c’est Côté Obscur drivé par IAM et où on retrouve la Fonky Family et le 3e Œil. A Paris, c’est le Secteur Ä avec Passi, Doc Gynéco, Stomy Bugsy. Un cran en dessous, on retrouve aussi les collectifs IV My People et le B.O.S.S de Kool Shen et Joey Starr, les rappeurs du groupe NTM. Mais près de quinze ans plus tard, toutes ces entités appartiennent au livre d’histoire du rap. Comme tant d’autres. Au sein de la « myriade de labels indépendants qui naissent de 1994 à 2001, plus d’une trentaine adoptent la forme d’une SARL [….] A la fin des années 2000, les deux tiers de ces sociétés sont en liquidation judiciaire ou ont cessé toute activité », écrit le sociologue Karim Hammou dans son livre « Une histoire du rap en France » (2)


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03

Du secteur ä 
au wati B

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« On a fait monter les enchères et on a fini par trouver un accord avec Barclays dont les équipes nous avaient dit qu’il n’y avait que Mylène Farmer et Jean-Jacques Goldamn qui bénéficiaient de meilleurs conditions dans la musique en France », se souvient Yann Le Bras . 

Avertis et rompus aux affres du business, les rappeurs savent aussi s’entourer. « Au tribunal, j’ai rien à craindre, j’ai Maître Le Bras », rappait Booba en 2006, vantant, dans son œuvre même, les compétences de cet avocat pénaliste. Inscrit au Barreau de Paris, celui-ci l’assiste pour rompre son contrat avec le label indé que Booba a fondé avec trois autres associés et le conseille pour créer sa propre structure avant de démarcher les maisons de disques. 

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« La logique d’un jeune groupe est celle d’une start-up : est-ce que tu vas chercher une sorte de fonds d’investissement qui serait, dans notre cas, une major pour te financer ou est-ce que tu fais tout en croissance interne », compare Fonky Flav’, le gérant de la SARL. Mais avoir choisi l’option 1 est loin de signifier délégation totale à la maison de disque sur l’ensemble de l’écosystème financier du groupe. « On est resté maître de notre production, on est coéditeur, on gère notre merchandising et on coproduit nos tournées », poursuit ce diplômé d’un Master 2 en marketing qui a participé à un autre album, l’an passé, avec L’Entourage, un collectif proche de 1995. Son titre ? « Jeunes Entrepreneurs ». Sans équivoque.

02

Une « approche
Très entrepreneuriale »

« Dans la musique urbaine, beaucoup ont la volonté de se structurer en tant que producteur audio et vidéo. Ils ont une logique d’artiste-entrepreneur. Hormis quelques exceptions, il n’y a qu’avec ces artistes que je constate cette approche très entrepreneuriale », estime Henri Jamet, directeur marketing et artistique chez Believe Recordings.

« Les gens du hip-hop sont plus débrouillards. On est capable de sortir des disques tout seul alors que dans d’autres musiques, les gens attendent plus qu’on vienne les chercher », approuve Fonky Flav’, rappeur au sein de 1995. Du vécu. En 2011, son groupe fonde la société Undoubleneufcinq avec 5.000 euros en poche. Les six membres du collectif sont les six associés.

Cette même année, un huit-titres atterrit dans les bacs et fait d’eux les nouveaux espoirs du rap hexagonal. Très vite, les maisons de disques se précipitent avec contrats et stylos en main. Après réflexion, le groupe signe chez Polydor, en licence, car ils ont  besoin de trésorerie pour sortir nouveaux morceaux et clips dans la foulée. Il faut battre le buzz tant qu’il est chaud. 


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Depuis, une flopée de labels ont pris la suite. Au sommet de cette nouvelle génération flotte l’insigne du Wati B, le label qui abrite la Sexion d’Assaut dont les albums se sont écoulés, en tout, à plus de 3 millions d’exemplaires. En son sein, le groupe compte des artistes comme Maître Gims et Black M qui ont respectivement vendu 1 million et 650.000 exemplaires de leur premier album solo.  Mieux que l’avant-dernier et 49e opus de Johnny Hallyday. 

L’histoire est-elle vouée à se terminer en dépôt de bilan pour ce type de gros labels indés ? Rien de certain. « Le Secteur Ä en a rêvé, Wati B l’a fait car ils ont réussi à conserver tous les artistes sur un même label alors que Doc Gynéco avait signé chez Virgin, Stomy Bugsy chez Sony et Passi chez V2 », juge Laurent Bouneau, directeur des programmes de Skyrock.  

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Une force qui se double d’une diversification en marche. Marque de streetwear cotée, le Wati B s’est lancé dans le management de sportifs et sortira un film fin 2016 dans lequel jouent des artistes du label et qui bénéficie d’un budget de 1,5 million d’euros. En fonds propres, le holding qui surplombe l’ensemble des activités abrite 13 millions d’euros mis en réserve ces dernières années. 

Bien sûr, une telle réussite demeure exceptionnelle et le secteur n’échappe pas aux tourments de l’industrie musicale. Faire fortune dans le rap ? « Autant braquer une banque grecque », image le rappeur Lino dans son dernier album. Mais le secteur arrive à maturité, s’est structuré et une sorte de classe moyenne a émergé. 

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04

musicast  
l'intermédiaire

“Avec le boom du streaming payant chez les moins de 35 ans,
​le rap a un vrai modèle économique aujourd'hui” Pascal Nègre - Universal Music France 

Un nom revient dans la bouche de tous les spécialistes pour expliquer la bonne santé de l’indé : Musicast, une société de production qui fait tampon entre le haut du panier et les rappeurs en herbe. Musicast distribue des artistes confirmés (Sinik, Disiz ou Shurik’n) qui vendent moins que durant leurs belles années mais possèdent encore une base solide de fans. Et sert aussi de marchepied aux rookies de la discipline. Mister You, Lacrim, 1995 : tous ont sorti leur premier opus en partenariat avec Musicast où ils ont débarqué avec un buzz qui ne demandait qu’à éclore et en sont ressortis "bankable".   

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Le label s’appuie sur deux atouts : aucun verrou judiciaire n’empêche l’artiste d’aller voir ailleurs s’il a une meilleure proposition et Musicast propose une distribution sur mesure. « On accompagne l’artiste et son label en les aidant à négocier les tarifs des publicités ou encore en travaillant leur pochette avec eux », décortique Julien Kertudo, directeur et fondateur de Musicast. Original, ce modèle n’empêche pas la société de production de voir ses revenus grimper. Le chiffre d’affaires devrait s’élever à 7 millions d’euros en 2015, soit quasiment trois fois plus qu’en 2013. Une augmentation qui s’explique, en grande partie, par 3 lettres : Jul, un artiste marseillais, signé en distribution chez Musicast, qui a sorti son premier album en février 2014 et qui enchaîne les succès commerciaux. 

Au-delà de ses morceaux, la force de Jul repose sur son incroyable productivité qui fait presque passer la formule du « Un album par an » popularisée par Jay Z, dans le rap, à la fin des années 1990 pour un rythme de sénateur. En moins de deux ans, ce stakhanoviste a sorti 6 albums (le dernier est dans les bacs ce vendredi 4 décembre) ‑ dont un distribué gratuitement - accompagnés de pléthore de vidéos et sons inédits. En tout, trois opus ont été certifiés disque de platine, un a été disque d’or et le rappeur phocéen vient de se lancer en indépendant, nommant son label « D’or et de platine ». Normal.

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05

les majors  
s'en mêlent

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Tout cela n’a pas échappé aux majors. En 2011, Universal a lancé le label spécialisé dans l’urbain, Def Jam France, et a créé, deux ans plus tard, un label, en joint-venture, avec Maître Gims : Monstre Marin. « Avec le boom du streaming payant chez les moins de 35 ans, le rap a un vrai modèle économique aujourd’hui », juge Pascal Nègre, président d’Universal Music France. « Le streaming va rapidement compenser la baisse des ventes physiques dans le rap », estime Djamel Aliouane, responsable digital de Def Jam France. 


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“Les gens du hip-hop sont plus débrouillards. On est capable de sortir
​des disques tout seul alors que dans d'autres musiques, les gens attendent plus qu'on vienne les chercher.” Fonky Flav - 1995

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« Aujourd’hui, il faut être capable de produire des morceaux de qualité très régulièrement, c’est une nécessité si on veut durer », souligne Julien Kertudo pour qui le rap a beaucoup changé en quinze ans. « Ceux qui font du rap aujourd’hui le font moins dans une optique de revendication sociale et politique. Les artistes actuels rappent pour gagner leur vie », fait-il valoir.

« Ils sont de plus en plus carrés, en termes d’image, d’approche des réseaux sociaux, de budget pour leurs clips. Ils ont internalisé des ressources et métiers qui appartenaient avant aux maisons de disque », abonde Henri Jamet. Mais en captant plus de valeur, les rappeurs n’engendrent-ils pas un manque à gagner chez ces mêmes maisons de disques ? « On ne peut rêver mieux que de bosser avec des mecs qui savent combien coûte une caméra », répond ce dernier pour qui cela crée une dynamique vertueuse. 

De son côté, Sony est entré au capital du Wati B à hauteur de 30%. « Le plus dur maintenant, ça va être de se maintenir à ce niveau-là », fait valoir Dawala, le patron du Wati B dans son bureau au siège français du groupe. Une obsession depuis le début. Lors d’un séjour au Mali en 2002, il voit écrit sur les cabines téléphoniques « waatibé», « ça veut dire non-stop, ouvert 24 h sur 24 », confie-t-il. Ce qui l’inspirera pour le nom de son label. « On est là, on  bougera pas de là maintenant qu'on y est. Y'a que quand je suis premier que je reste à ma place », rappe Nekfeu (du groupe 1995) sur son premier album solo sorti en juin et déjà disque de platine. Une obsession pour tous. 


Ci-contre :
Youssoupha a commencé
sa carrière il y a plus
​ de 10 ans.

                   

(c) Thai Raw 

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Ci-dessus : Youssoupha a sorti
son dernier album en mai.

                  

(c) Fifou 

(1) : On ne comptabilise par ici les sorties de caisse, c’est-à-dire les album effectivement vendus aux clients, mais le nombre de disques commandés par les magasins revendeurs et placés dans les bacs.

                   


Ci-dessus : Les 6 membres
du groupe 1995 au complet. 

                   

(c) 1995 

Ci-contre :
Le groupe 1995 est rapidement devenu un grand espoir
​ du rap français.

                   

(c) Jonathan Mannion 

Ci-contre : En 2014, le groupe remporte le prix des musiques urbaines lors des Victoires
​de la musique.

                   

(c) Antoine Durand, Bertrand Guay et AFP

Ci-dessus : Passi, Doc Gynéco
et Stomy Bugsy.

                   

(c) Abergel/SIPA 

Ci-contre :
​En 1999, Akhenaton
et le groupe IAM interprètent
le morceau "Independenza"
lors des Victoires de la musique.

                   

(c) Pierre Verdy / AFP 

Ci-contre :
Le groupe marseillais
de la Fonky Family.

                   

(c) AFP 

Ci-dessus : En 2008, Shurik'n
et le groupe IAM ont donné
un concert aux pieds
des pyramides de Gizeh. 

                   

(c) Hazou Victoria / SIPA 

Ci-contre :
Le groupe 1995
​ en concert.  

                   

(c) Antoine Durand 

Ci-dessus : L'album solo
de Black M a été certifié
​disque de diamant.

                   

(c)  Axel Malka

Les quatre grandes familles de contrats


Si de nombreuses particularités et accords sur-mesure existent dans les contrats noués entre artistes et maisons de disques ou encore entre labels indépendants et majors, voici les quatre grandes familles de contrats dans l’industrie musicale aujourd’hui.

Ci-contre :
L'avant-dernier album
de Booba été certifié disque de platine.
A droite, Bigflo & Oli ont obtenu un disque d'or avec leur premier opus.

                   

(c) DR et Julia Ratto 

Ci-contre :
Le premier album
de Gradur a été certifié
disque d'or.
A droite, Maître Gims
et Pascal Nègre le jour
du lancement
de Monstre Marin.

                   

(c) Fifou et Quentin Curtat

 Des fermetures qui trouvent leur origine au-delà de la seule crise du disque. « Ces labels n'ont pas toujours les moyens d'assurer la montée en puissance d'artistes au succès commercial majeur, et ils doivent se résoudre à les laisser partir vers de plus gros groupes ou à brider leur développement. Ce qui ne va pas toujours sans conflits avec les artistes en question », analyse Karim Hammou. « Que de stupides escalades, de comptes d’apothicaires pour des gars qui débutèrent rappant sur une esplanade », rimait Akhenaton, le leader d’IAM, en 2001.


Texte :  Nicolas Richaud - Trame graphique : Fabien Rousseau - Réalisation : Anthony Leduc, Thomas Guillembet, Nicolas Richaud, Fabien Rousseau - Infographie : Thomas Guillembet, Sarah Chelly - Diaporama sonore : Caroline D'Avout, Iorgis Matyassy pour « Les Echos » - Iconographie : Caroline d'Avout, Nicolas Richaud, Fabien Rousseau - Crédits vidéos : YouTube 
- Sous la supervision de : Pascal Pogam

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(2) : Aux éditions
La Découverte.

                   


Le contrat d’artiste

Ce contrat lie directement l’artiste à un label ou à un producteur. L’artiste récupère, en moyenne, de 7% à 12% des ventes du disque, un taux qui peut aller jusqu’à 15% parfois pour les plus célèbres et qui ont une longue carrière derrière eux.

Le contrat de distribution

Le rôle de la maison de disque ou du distributeur est ici généralement cantonné à mettre les albums dans les bacs. Le label qui finance et s’occupe de toute la partie en amont récupère, en moyenne, entre 60% et 70% des ventes de disques.

Le contrat de licence

Ce contrat lie une maison de disque ou un distributeur à un label qui arrive avec un album fini et veut le commercialiser. En moyenne, ce dernier récupère entre 16% et 30% sur les ventes du disque.

Le contrat de co-exploitation

De plus en plus en vogue, ce contrat voit labels
​et maison de disques se partager les revenus à 50-50. 

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